« Mépris de sa langue », de Javier Marías

Javier Marías (Madrid, 1951-2022) régalait et nourrissait l’esprit des auditeurs des réunions, tertulias, organisées par Iñaki Gabilondo sur la Cadena SER, et de ses lecteurs. La traduction d’une de ses nombreuses tribunes est un hommage à l’écrivain madrilène, mort le 11 septembre de cette année.

Mépris de sa langue

Que la langue espagnole soit détruite par ses journalistes et ses locuteurs saute aux yeux et aux oreilles depuis bien des décennies, et les dégâts ne cessent d’augmenter. Y ont contribué aussi trop de Latino-américains : le cliché prévalait que leur castillan était très supérieur, plus riche en vocabulaire, plus correct et plus éloquent que celui de notre pays. Il se peut qu’il en fût ainsi jadis, ce n’est plus vrai désormais. Ils ont adopté les anglicismes américains de manière si peu critique et si fervente qu’aujourd’hui ils parlent et écrivent une sorte de traduction littérale de l’anglais. Les sous-titres des films et des séries traduits par eux sont un bon échantillon de ce calque paresseux ou ignorant. En Espagne, bien évidemment, l’on continue de parler et d’écrire de plus en plus mal, et ici aussi les anglicismes nous ont colonisés sans opposition. Il existe des milliers d’exemples, mais je suis frappé par un exemple récent et que j’ai vu utiliser, même par des écrivains de prestige : désormais tout « exuda » [suinte], en sens figuré. Un film « exuda brío » [suinte de la vigueur], un roman « exuda ironía » [suinte de l’ironie], et ainsi de suite jusqu’à l’infini. Il n’est pas difficile de déduire que ce verbe est lié à « sudar » [suer] et, pour autant que je sache, les seules choses dont on peut dire qu’elles « exudan » [suintent] sont les corps, les fromages et assimilés. Sont tombés dans l’oubli des mots plus appropriés et moins fétides tels que « destilar » [distiller], « rezumar » [transpirer], « rebosar » [déborder] ou « desprender » [dégager], selon le cas.

Les phrases toutes faites sont aussi un autre charabia. Récemment j’ai entendu un journaliste de TVE (une grande fabrique d’attentats linguistiques) dire que le président du Barça « desgranaba la margarita » [égrenait la marguerite] pour savoir s’il fallait renvoyer ou pas son entraîneur. Que je sache, les marguerites n’ont pas de graines, mais des feuilles ou des pétales, de surcroît l’expression a toujours été « deshojar la margarita » [effeuiller la marguerite]. Il n’y a pas si longtemps, elle était connue même du plus ignorant des habitants.

Mais, au-delà de la destruction, j’observe les tentatives insistantes d’expulser le castillan, et je ne parle pas des territoires dont les autorités mettent tout en œuvre pour y parvenir (la Catalogne, le Pays Basque, et leurs imitatrices les Baléares et Valence), mais du reste du pays, qui n’a en principe que cette langue à disposition. D’abord, il y a eu les enseignes des magasins et les affiches : « vintage », « bargain » (pour « ganga » [bonne affaire]), « sold out », pour « vendido » [vendu] ou « agotado » [épuisé] ou « no quedan entradas » [c’est complet], et ainsi de suite. La bêtise de recourir à des termes anglais, parce que ceux qui en font usage pensent que ces mots semblent cosmopolites et meilleurs, a également atteint la langue parlée. La plupart de notre population a beaucoup de mal à apprendre les langues (comme c’est le cas pour presque toutes les populations : l’exception seraient les nordiques et les balkaniques), ainsi que leur prononciation. C’est encore plus difficile de comprendre. Cependant, de nombreux spots télévisés ne sont plus en espagnol, mais en anglais. Quelques-uns sont absurdement sous-titrés, pour aider à la compréhension (ne serait-il pas plus logique qu’ils soient directement en espagnol ?), d’autres n’existent même pas, et d’autres encore tombent dans l’extrême du mauvais goût, comme celui sur des petits déjeuners et des goûters qui ne peut s’empêcher de finir par cette idiotie : « Estás ready » [Es-tu ready ?] Qu’est-ce qui les empêche de dire « Estás listo ? » [Es-tu prêt ?] Ce méli-mélo est ridicule, sinon pathétique.

Sont concernés par cette pratique des produits étrangers et nationaux, des marques ringardes ou élégantes (maisons de mode huppées), de voitures et de saucisses, de parfums onéreux et de ragoûts de haricots, toutes sans distinction s’y rejoignent. Souvent, le spectateur ne comprend pas ce qui est dit ou peut-être ce qui est vendu. Mais comme le but de tout annonceur est de vendre plus, il faut en déduire qu’il se peut que la tendance pédante-plouc a peut-être du succès. Dans ce cas, qu’est-ce qui ne va pas avec la langue de notre pays, pourquoi la considère-t-il comme si inférieure à l’anglais américain (ça n’est jamais celui de la Grande-Bretagne) ? Quel étrange complexe s’est-il emparé de notre société ? C’est peut-être culturel et, compte tenu des programmes d’Éducation dans l’Ânerie des Gouvernements socialistes et populaires, il est fort probable qu’un grand nombre d’Espagnols méconnaissent aujourd’hui Cervantès, Lope, Quevedo, Clarín, Larra, Baroja, Machado, Pardo Bazán, Valle-Inclán et Lorca, sans parler des contemporains. Mais moi je crois qu’il s’agit plutôt du désir irrépressible d’être Américains et de vivre comme tels (ce qui est difficile à accepter étant donné le pays stupide qu’est devenu le leur en ce siècle). Tout a été exporté vers nous à travers leurs films et leurs séries : de leur obsession caricaturale pour le mal nommé « género » [genre] à leurs grossiers enterrements de vie de garçon et à Halloween, de leur amour démesuré pour les chiens à leurs petits discours de mariages et au fait que les fiancées portent « something old, something new, something borrowed, something blue », dont la version espagnole ne rime même pas. Il y a longtemps que je ne regarde plus de matchs de football avec des amis, mais j’imagine que de nombreux fans patriotes de l’équipe d’Espagne doivent les regarder désormais entre des éructations de bière (de Budweiser) et d’énormes cônes de pop-corn. Pour satisfaire un si grand désir, le castillan est une grande nuisance. Ne vous en faites pas : la publicité, école d’abrutis et de ringards depuis 1960, pourra ajouter un autre exploit : celle de boycotteuse de la langue, sans proposer de remplacement ou de substitution.

Javier Marías, « Desprecio de la propia lengua », El País Semanal, 14 novembre 2021 – 05:40 CET. URL : https://elpais.com/eps/2021-11-14/desprecio-de-la-propia-lengua.html.

Traduit par Marlene MORET

Stefan Zweig : Enjeux de la construction européenne

Stefan Zweig était-il visionnaire ? Sa capacité d’analyse de la réalité de son époque lui a permis de voir le devenir de l’Europe. Le 23 novembre 1923, il écrit une lettre  pleine d’optimisme à Heinrich Meyer-Benfey. Cette analyse nous fait réfléchir, à l’aube du brexit et des mouvements de certains nationalismes, sur les vrais enjeux de l’Europe.

« Je crois que la question de la constitution d’un Etat européen n’est l’affaire que de 50 à 100 ans maximum, et qu’alors, par nécessité commerciale et matérielle, on verra apparaître en face des Etats-Unis d’Amérique les Etats-Unis d’Europe. Cet espoir ne repose pas sur un idéalisme confus mais, au contraire, sur une conviction née de considérations de mathématique et d’économie nationale. A terme, il est impossible que les Etats-Unis d’Europe emploient 40 millions de personnes et les déguisent en douaniers, soldats, consuls etc., alors qu’en Amérique ces mêmes 40 millions sont non seulement nourris par le monde économique mais produisent eux-mêmes. C’est pourquoi la question des frontières me semble si indifférente, car elles perdront d’elles-mêmes leur valeur : la seule chose qui importe, c’est que la culture, que l’esprit perdure, et c’est là et non dans la politique que réside la véritable mission de tous les Allemands véritables » p. 125.

Stefan Zweig, Correspondance 1920-1931. Paris : Éditions Grasset, 2003, 395 p.

« Creo que la cuestión de la constitución de un Estado europeo es un asunto de tan solo 50 a 100 años como máximo y entonces, por necesidad comercial y material, se verá aparecer frente a los Estados Unidos de América los Estados Unidos de Europa. Esta esperanza no se basa en un idealismo confuso sino, al contrario, en una convicción originada por consideraciones de matemática y economía nacional. En última instancia, es imposible que los Estados Unidos de Europa empleen a 40 millones de personas y las disfracen en aduaneras, soldados, cónsules etc., , mientras que en [Estados Unidos de] América esos mismos 400 millones no solo son alimentados por el mundo económico si no que ellos mismos producen. Por ello,  la cuestión de las fronteras me parece tan indiferente, pues perderán por sí mismas su valor: lo único que importa es que la cultura, el espíritu perdure, y es allí, y no en la política, donde reside la verdadera misión de todos los verdaderos alemanes » p. 125.

Stefan Zweig, Correspondance 1920-1931. Paris : Éditions Grasset, 2003, 395 p.

Traducción: Marlene Moret

Jorge Semprún. Construir Europa

Cito una frase de Jorge Semprún, escritor y político español, 1923-2011, la cual permitirá reflexionar en estos tiempos turbios :

« La unidad de Europa, hoy, sólo puede construirse a través de la diversidad. »

Jorge Semprún, Pensar en Europa. Prólogo de Josep Ramoneda. Ensayo Tusquets Editores, N° 62. Barcelona, 2006, p. 284.

Traduzco la cita:

« L’unité de l’Europe, au jour d’aujourd’hui, ne peut se construire qu’à travers la diversité »

Marlene Moret

Macron. La France que nous voulons pour ce dimanche

La conclusion d’Emmanuel Macron :
« On vous demande une carte blanche, et vous salissez l’adversaire, et vous proférez des mensonges. Votre projet, c’est de salir, c’est de mener une campagne de falsifications, de vivre de la peur et des mensonges. La France que je veux vaut beaucoup mieux que ça. Il faut sortir d’un système qui vous a coproduit. Vous en vivez. Vous êtes son parasite. L’inefficacité des politiques de droite et de gauche, c’est l’extrême droite qui s’en nourrit. Je veux mener la politique qui n’a jamais été menée ces trente dernières années. »

Et parce que les Français parlent aussi d’autres langues, voici la conclusion de Macron en espagnol :

« Se le pide una tarjeta blanca, y usted ensucia al adversario, y usted profiere mentiras. Su proyecto es ensuciar, es llevar a cabo una campaña de falsificaciones, de vivir con miedo y mentiras. La Francia que quiero vale mucho más que eso. Hay que salir de un sistema que a usted le ha coproducido. Vive de ello. Usted es su parásito. De la ineficacia de las políticas de derecha e izquierda, es la extrema derecha la que se nutre. Yo quiero aplicar una política que nunca se ha aplicado en estos últimos treinta años. »

Marlene Moret

Le Nid, poème de Fernán Silva Valdés

L’écrivain uruguayen Fernán Silva Valdés (1887-1975) dans son recueil de poèmes Agua del tiempo (1925) poursuit les lignes directrices de la construction du gaucho comme figure de l’imaginaire collectif  : son environnement, ses instruments de travail, sa guitare, ses boleadoras, son poncho, son cheval, entre autres.

Les poèmes de ce petit recueil sont plein d’histoires et de musicalité. Voici un poème d’une douceur, à la plume démunie d’artifices.

El Nido                                                                                                        Le Nid

Los árboles que no dan flores                                  Les arbres qui ne donnent point de fleurs

Dan nidos;                                                                     Donnent des nids ;

Y un nido es una flor con pétalos de pluma;      Et un nid est une fleur aux pétales de plume ;

Un nido es una flor color de pájaro                       Un nid est une fleur couleur d’oiseau

Cuyo perfume                                                             Dont le parfum

Entra por los oídos.                                                  Rentre par les oreilles.

Los árboles que no dan flores                              Les arbres qui ne donnent point de fleurs

Dan nidos…                                                              Donnent des nids…

                                                                            Traduction Marlene Moret

ciguena-volando-desde-su-nido-del-centro-de-alcala-de-henares-espana
Cigüeña dejando su nido situado en el centro de Alcalá de Henares (España). Foto de Marlene Moret, diciembre de 2017.

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Victoria Ocampo y la realidad

Las obras epistolares son tesoros: nos permiten conocer no sólo al remitente sino también a su entorno y su siglo.

He aquí uno de ellos: Roger Caillois / Victoria Ocampo. Correspondances (1939-1978). Lettres rassemblées et présentées par Odile Felgine avec la collaboration de Laura Ayerzade Castilho et l’aide de Juan Alvarez-Márquez., Ed. Stock, Paris, 1997, 527 p.

Dos intelectuales ineludibles de las letras francesas y argentinas del siglo veinte, Roger Caillois y Victoria Ocampo, comparten su pasión, la literatura.

En marzo de 1941 Victoria Ocampo expresa su opinión con respecto a la realidad. Cito el fragmento que se encuentra en la página 88.

La réalité si dure soit-elle, a une beauté que les illusions n’ont pas. Je n’ai jamais été friande de mirages.

Traducción:

La realidad por muy dura que sea, tiene una belleza que las ilusiones no tienen. Nun-

ca he sido amante de espejismos.

El amor según Victoria Ocampo

victoria-ocampo

Una obra epistolar que compré en una librería de viejo me fascinó. ¿Quiénes se carteaban? Dos intelectuales: uno, francés, y otra, argentina. Tenían una pasión en común, la literatura. Eran Roger Caillois y Victoria Ocampo, dos intelectuales ineludibles de las letras francesas y argentinas.

Estas son las referencias del libro: Roger Caillois / Victoria Ocampo. Correspondances (1939-1978). Lettres rassemblées et présentées par Odile Felgine avec la collaboration de Laura Ayerzade castilho et l’aide de Juan Alvarez-Márquez., Ed. Stock,Paris, 1997, 527 p.

Esta vez, saco una cartita de la editora argentina, Victoria Ocampo, escrita probablemente en 1941 [¿16 de marzo?, según la ed.]. Trata del amor. Les invito a la lectura.

Marlene Moret

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Réécriture. Jean Cocteau et le Sphinx

Voici quatre variations autour du thème du Sphinx.

Ici nous verrons la réécriture que fait  Jean Cocteau du mythe du Sphinx, de l’oeuvre de Voltaire, de celle de José María de Heredia et d’Albert Samain. Texte en français et en espagnol.

Jean Cocteau

Jean Cocteau (1989-1963), La Machine infernale, Acte II, extrait (1932).

La máquina infernal, Acto II, fragmento (1932).

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